Dans la majorité des Etats européens, plus de la moitié des adultes souffrent de surcharge pondérale ou dobésité. Les plus jeunes ne sont pas épargnés, puisque près de 22 millions dentre eux (environ 30 %) sont en surpoids. Et le nombre de ces petits Européens, déjà trop gros dans lenfance, augmente de 400 000 chaque année
La Commission européenne réagit par un ensemble de propositions destinées à mieux informer le consommateur face à ses choix, à lui assurer laccès à une alimentation saine et à linciter à faire plus dexercice physique
Nutrinews feuillette avec vous le Livre blanc sur la nutrition adopté par la Commission. « Les consommateurs ont le droit de manger ce que bon leur semble, mais ils doivent pouvoir opérer des choix sains et en pleine connaissance de cause ». De cette phrase du commissaire européen à la santé, Markos Kyprianou, découle une kyrielle de recommandations susceptibles
de porter remède au gros corps pléthorique de lEurope. Elles impliquent de nombreux acteurs, dont les interventions sont appelées à se confronter, sentrecroiser et en définitive se soutenir.
Pêle-mêle : la Commission européenne et les Etats nationaux, lindustrie agroalimentaire, la publicité et les medias, les organismes de recherche, mais aussi les producteurs agricoles, les organisations sportives, les écoles, les entreprises, sans oublier les associations de consommateurs Ni, enfin, le consommateur individuel, sur qui repose le choix ultime, et qui mérite dêtre le plus conscient et le mieux averti possible.
Agir sur tous les fronts : Bref, lobjectif de lutter contre le surpoids et les maladies associées nécessite le concours
de tous. Cest pourquoi le Livre blanc préconise la constitution, à léchelle de lUnion européenne, de partenariats orientés sur laction. Ils associeraient notamment secteur public, secteur privé et organisations vouées à la santé et à la défense des consommateurs. Les mesures proposées dans le Livre blanc sont à prendre à tous les niveaux, de léchelon local à léchelon communautaire en passant par léchelon national. Et visent notamment à
mettre en place, aux quatre coins de lunion, des forums nationaux et locaux susceptibles datteindre une efficacité honorable. Pour garantir le soutien de la sphère politique et obtenir une coopération intersectorielle au niveau national, le Livre blanc préconise aussi la création dun groupe de haut niveau qui soccuperait exclusivement des questions de santé liées à la nutrition, la surcharge pondérale et lobésité et se composerait dun représentant
par État membre. Pour échanger idées et pratiques, et décider quand cest possible de
mesures coordonnées. Les objectifs évoqués se chevauchent et se retrouvent à chaque échelon de responsabilité :
communautaire, national et privé.
Des objectifs pour la Communauté et les États membres : Au niveau communautaire, ils visent à :
Mieux informer le consommateur. En lui facilitant laccès à une information claire, cohérente et étayée. La Commission européenne revoit actuellement la législation en matière détiquetage nutritionnel. Elle veille aussi à ce que les allégations nutritionnelles et de santé formulées au sujet des aliments soient fondées sur des données scientifiques fiables. Elle se préoccupe de la mise en place de bonnes pratiques dans le secteur de la publicité et du marketing, dont on sait quils influencent notamment les consommateurs, en particulier les enfants. La mise en place dun code de conduite des medias est souhaitée, concernant notamment la communication commerciale sur les aliments et les boissons à lintention des enfants
La Commission veut aussi soutenir des campagnes dinformation et déducation spécifiques, surtout en direction des groupes vulnérables comme les enfants. Rendre accessible le choix dune alimentation saine.
La Politique agricole commune (PAC) joue un rôle important dans la production et loffre alimentaires
en Europe. Si elle assure la disponibilité des aliments, elle peut aussi influer sur le régime alimentaire européen et lutter contre la surcharge pondérale. La réforme de lOrganisation commune de marché (OCM) pour les fruits et les légumes vise ainsi à encourager leur consommation dans les écoles. On peut aussi autoriser la distribution de la surproduction aux établissements denseignement et aux centres de vacances pour enfants, financer des campagnes promotionnelles, rendre à tous niveaux les fruits et légumes plus « abordables ». LEurope sintéresse aussi de plus en plus à la composition des produits manufacturés. Certains Etats encouragent la reformulation des denrées alimentaires, par exemple pour ce qui est de leur teneur en graisses, en sel et en sucres. Il sagit aussi daméliorer la teneur en éléments nutritifs des aliments transformés.
Encourager par tous moyens lactivité physique et sportive. Seront impliqués, par exemple, les transports urbains durables, la promotion de la marche et du cyclisme, et tout ce qui favorise lactivité physique en général.
Soccuper prioritairement de certains groupes de population. Lobésité affecte de façon disproportionnée les enfants des couches sociales défavorisées. La création dendroits attrayants et propices à lactivité physique, le renforcement du rôle éducatif de lécole sont recommandés, en même temps quune plus grande coopération entre
les écoles, les organismes de formation des enseignants, les autorités locales et nationales et les clubs de sport.
Développer la base de connaissances pour mettre au point des politiques nutritionnelles. Il sagit de mener des recherches sur le comportement des consommateurs, limpact de lalimentation sur la santé, les facteurs permettant de prévenir lobésité, les interventions efficaces en matière de régime alimentaire. LAutorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) est chargée de définir les profils nutritionnels des aliments comportant des allégations de santé, dévaluer le fondement scientifique de ces allégations, et aussi de mettre à jour les apports de référence en énergie et nutriments de la population européenne.
Développer des systèmes de suivi. Il sagit dobtenir des données comparables sur des indicateurs globaux de progrès liés au régime alimentaire et à lactivité physique, de recenser les politiques menées et dévaluer leur impact, de mettre en réseau et déchanger des dinformations sur les bonnes pratiques en matière
de nutrition, dactivité physique et de prévention de lobésité. Au niveau des Etats membres enfin, laccent est mis sur la diversité des pratiques alimentaires (et donc la nécessité dactions locales et régionales, plus proches des citoyens), la diffusion des recommandations européennes, la mise en place de partenariats, la publicité responsable
Mobiliser les acteurs privés Le secteur privé est invité à compléter les initiatives européennes et nationales :
Pour rendre accessible le choix dune alimentation saine. Lindustrie alimentaire (du producteur au détaillant) peut travailler à la reformulation de la teneur en sel, en sucres et en graisses des aliments. Les promotions à bas prix de produits sains comme les fruits et légumes sont encouragées.
Pour informer les consommateurs. Les détaillants et les entreprises du secteur alimentaire sont invités à apporter leur pleine contribution à une information loyale.
Pour encourager lactivité physique. Les organisations sportives pourraient coopérer avec les représentants du secteur de la santé publique pour mettre sur pied, dans toute lEurope, des campagnes de publicité et de marketing en faveur de lactivité physique, notamment parmi les populations cible comme les jeunes ou les groupes défavorisés. Les acteurs privés locaux et régionaux sont invités au dialogue avec les autorités pour la conception des bâtiments, des espaces urbains tels que les aires de jeu pour enfants et les systèmes de transport.
Pour agir auprès des plus jeunes. Les écoles ont une grande responsabilité pour apprendre aux enfants limportance dune bonne alimentation et de lexercice physique, et pour les faire bénéficier des deux. Elles pourraient être assistées par des partenariats privés, même venant des milieux daffaires, mais sans objectif commercial. Les entreprises sont aussi appelées à contribuer à la promotion de modes de vie sains sur le lieu de travail, en liaison avec les organisations de salariés. Enfin, il est demandé de mieux former les professionnels de la santé à la nutrition, à lactivité physique et à lapproche préventive du surpoids et des maladies qui lui sont liées.
La Commission européenne procédera, en 2010, à un examen des progrès accomplis par les différents acteurs sollicités. La prévalence de lobésité sera lun des principaux indicateurs
Lalimentation dans les livres pour enfants
Pour les sociologues ou anthropologues de lalimentation, les livres pour enfants sont un objet détude qui na pas encore livré tout son suc
Emilie Salvat (*) sest attelée à la tâche. Les livres pour enfants sur les aliments symbolisent et font rêver, mais aussi instruisent et parfois « configurent » les jeunes générations. Ils sont aujourdhui le reflet des conceptions et des comportements alimentaires du moment, y compris de nos interdits et de nos peurs. Les livres pour enfants sont un media comme les autres : un moyen dexpression sattribuant la charge de refléter ou de transmettre des conceptions et des valeurs sociales réputées admises
A lorigine, traités de savoir-vivre ou de savoir-faire, ils sont aujourdhui des vecteurs de socialisation, chargés de véhiculer les normes de la société et dinciter lenfant à les incorporer. Au « rayon alimentation », beaucoup de livres actuellement offrent des stratégies dapprentissage des normes nutritionnelles, analyse Emilie Salvat. Ce sont surtout des documentaires ou des fictions prônant léquilibre alimentaire. On trouve aussi des livres où laliment est utilisé pour sa charge symbolique, culturelle, ou encore onirique, imaginaire
Laliment dans les contes
Le champignon est ainsi source de magie et de transformation dans Alice au pays des merveilles. Il en est de même pour la citrouille, qui devient un carrosse dans Cendrillon, ou pour le haricot dans Jacques et le haricot magique. Mais laliment peut aussi être dangereux, comme la pomme empoisonnée dans Blanche Neige. Ou constituer une épreuve,
comme le petit pois dans La princesse au petit pois ou le gâteau dans Peau dâne. Dans ces livres, laliment est un moyen dinteraction, déchange, de communication.
Stéréotypes normatifs
Lalimentation en tant que telle est abordée de manière plus précise avec Mme Dodue, la plus belle pour aller danser. Mme Dodue cherche à passer une robe trop serrée et doit suivre un régime draconien : un spaghetti par jour. Quand elle craque devant des myrtilles lors de son inévitable jogging, les reproches pleuvent ! Loin de laider à concilier la vie et le plaisir de manger, son entourage loblige à faire des choses qui ne sont « ni naturelles ni agréables », explique Emilie Salvat. De plus, observe notre sociologue, les titres mêmes des livres de la collection – créée dans les années 70 – où souffre et sillustre Mme Dodue témoignent dun certain sexisme ordinaire. Mme Dodue et Mme Propreté représentent les femmes, M. Maigre, M. Sale et M. Glouton les hommes. Les femmes sont tenues davoir un goût inévitable pour la propreté et de faire attention à leur poids. Les hommes, eux, peuvent être dégoûtants et gourmands
A côté de cette littérature à stéréotypes normatifs déjà un peu anciens, il existe, bien sûr, une littérature enfantine à tendance « égalitaire » et militante. Le point de vue change, la mise en condition demeure
Le souci de la santé : La littérature enfantine néchappe pas aux préoccupations de lépoque, notamment à une
certaine obsession préventive concernant les problèmes de santé liés à la nourriture. On dénombre de plus en plus de livres sur lalimentation équilibrée. Riches en conseils sur la mise en place des « bons » comportements. Et en mises en garde sur les dangers dune alimentation erratique.
« Pourquoi je dois
manger équilibré ? » est le type même du livre illustré, à la fois drôle et instructif, destiné à faire mieux comprendre lalimentation et les habitudes alimentaires. Lhistoire permet de découvrir « la malbouffe » de nos sociétés et de prévenir les risques quelle fait courir. Elle enseigne aussi lart et la manière de manger équilibré, et leurs bienfaits pour le corps. Un autre ouvrage, lalbum « Manger, ça sert à quoi ? », présente lhistoire de lours Pilou, si gourmand quil finit par avoir mal au ventre. Jusquà ce quun jour ses amis lui apprennent à bien se nourrir.
Signe des temps, il existe aussi une série de livres jeunesse sur le surpoids et lobésité. A travers des histoires humoristiques ou pleines de tendresse, on y aborde le thème du malêtre, du surpoids et de lexclusion. Par exemple, La grosse patate raconte les difficultés que rencontre une petite fille trop grosse pour saccepter et être acceptée.
À la découverte du goût et du plaisir de manger : Toute cette littérature enfantine semble être adaptée consciemment ou inconsciemment aux besoins, aux interdits et aux peurs de notre temps. Nutritionnellement correcte, elle intègre la censure ou lautocensure du discours habituel sur lalimentation. Mais elle diffuse aussi un savoir « éternel ». Avec les Comptines à croquer ou le Voyage au pays des mille et un bonbons, elle incite à partir à la découverte du goût et du plaisir de manger. Elle participe à lapprentissage du corps, à la découverte des manières de table. Elle se situe à la fois dans le registre de léducation et de la connaissance et dans celui enfant oblige ! – de limaginaire et du rêve. Enfin, remarque Emilie Salvat, peu de livres jeunesse existent sur les causes psychologiques et sociales des problèmes liés à lalimentation. Ni sur la responsabilité des adultes et des parents envers lalimentation des enfants, sur le conditionnement médiatique de certaines modes et les représentations médiatiques des aliments. Encore moins sur lanorexie, alors quil existe tant de livres sur lobésité Autant de pistes à explorer, peut-être si lon veut continuer à apprendre aux enfants à bien manger
* Source : Emilie Salvat. « La vision de lalimentation dans la littérature enfantine ». XVIIe congrès de
lAISLF, « sociologie et anthropologie de lalimentation ». Lemangeur-ocha.com. Cerin.