Lors de la toute récente Journée annuelle de nutrition et de diététique, Ambroise Martin, professeur de nutrition et de biochimie à la Faculté de médecine de Lyon I, et « père » de la dernière édition des fameux Apports Nutritionnels Conseillés pour la population française, a reçu le prix de lInstitut Benjamin Delessert*. Loccasion pour Nutrinews de lui poser trois questions sur sa conférence consacrée à lalimentation de lextrême
Nutrinews : Pourquoi sintéresser à lalimentation de lextrême ?
Ambroise Martin: « Les apports nutritionnels conseillés sont conçus pour couvrir les besoins de la majorité des individus dune population en bonne santé, placés dans des conditions de vie «normales». En dehors de situations extrêmes un peu particulières que sont la maladie, la surnutrition ou la sous-nutrition, létude sur dautres conditions extrêmes apporte des informations utiles à la compréhension des mécanismes physiologiques et pathologiques. Ladaptation de lhomme au froid, à laltitude ou aux vols spatiaux a conduit à développer des modèles dont lintérêt et lutilité vont au-delà des situations ponctuelles concernées. La régulation de lappétit, des métabolismes glucidique, protéique ou calcique sont quelques-uns des objets détude. On peut aussi espérer des bénéfices pratiques de ces études dans des situations pathologiques très courantes, comme lalitement prolongé par exemple ».
Nutrinews : Pouvez-vous nous en dire davantage sur les études en cours ?
Ambroise Martin : « Lessentiel des publications scientifiques concerne : les températures extrêmes (le froid et le chaud, avec dans ce dernier cas le difficile problème pratique de lhydratation) ; laltitude (notamment au-delà de 3500 m, où le froid se conjugue à la diminution du taux doxygène et à une baisse de la pression atmosphérique) ; lapesanteur (de plus en plus étudiée avec le développement des vols spatiaux de longue durée). Mais ces études sont difficiles. En effet, celles qui portent sur des modèles cellulaires ou animaux permettent de formuler des hypothèses, mais ne permettent que rarement des extrapolations directes à lhomme. Et la plupart des études consacrées aux populations vivant au-delà du cercle polaire ou en haute altitude sont essentiellement descriptives et visent surtout à repérer les principales carences par rapport aux standards «optimaux» établis pour les conditions «normales». Finalement, les études les plus approfondies sont réalisées lorsque des retombées en termes de performance, avec des conséquences sportives, militaires ou économiques, sont attendues. Elles concernent alors souvent un petit nombre dindividus à «forte valeur ajoutée», plongés, pour une durée relativement brève dans ces conditions extrêmes. Ces recherches qui peuvent paraître anecdotiques pourraient cependant se révéler importantes pour la vie courante, ou tout au moins dans des situations moins extrêmes ».
Nutrinews: Quels sont les principaux problèmes rencontrés en situations extrêmes ?
Ambroise Martin : « Sans exhaustivité, jen citerai trois. Lappétit: les rations fournies -considérées comme adaptées à la dépense énergétique- ne sont le plus souvent pas entièrement consommées, doù des pertes de poids fréquentes. Dans lespace, une anorexie est également souvent constatée, faisant intervenir différents mécanismes neuro-endocriniens (mis en jeu entre autres par lénergie des radiations) et des perturbations des horloges internes (entraînées par les modifications du cycle jour – nuit). Des expérimentations animales suggèrent aussi un ralentissement de la vidange gastrique en apesanteur (les aliments restent plus longtemps dans lestomac), susceptible de prolonger un état de satiété et de conduire à une moindre prise énergétique. Lénergie et la répartition des combustibles: chez le rat vivant en environnement froid, les lipides (graisses) sont utilisés préférentiellement aux glucides (sucres). La même constatation est faite chez lhomme, mais on ne sait pas encore si cela affecte vraiment la tolérance au froid ou au chaud. Des études génétiques commencent aussi à mettre en évidence la possibilité dapparition «disoenzymes» saisonniers qui sadapteraient à lenvironnement. Le métabolisme protéique est aussi modifié, avec perte de protéines liée à une diminution de synthèse. Il en est de même pour le métabolisme glucidique: le fait de se retrouver tête en bas sans beaucoup bouger joue sur linsuline et peut même induire un diabète Le remodelage osseux: les altérations du métabolisme osseux et calcique liées aux vols spatiaux sont bien établies. Outre leur impact sur la santé osseuse à long terme (ostéoporose), le risque majeur redouté (mais qui nest jamais encore devenu réalité) est celui de la survenue de crises de coliques néphrétiques liées au développement de calculs rénaux, qui pourraient gravement compromettre une mission spatiale ».
Ambroise Martin : lauréat 2007 du Prix de lInstitut Benjamin Delessert Ce Prix, décerné depuis 1988 par lInstitut Benjamin Delessert*, récompense une personnalité dont laction dans le domaine de la nutrition a contribué au développement des connaissances. Ambroise Martin est docteur dÉtat ès sciences et ancien interne des hôpitaux de Lyon, professeur des Universités en biochimie et nutrition à la Faculté de médecine de Lyon. Son activité de recherche, exercée en tant que responsable déquipe au sein de lUnité INSERM 189 de Lyon, portait sur les régulations, notamment nutritionnelles, de la synthèse des glycoprotéines. Expert en nutrition, il a été longtemps membre du Conseil supérieur dhygiène publique de France (CSHPF), et de la Commission détude des aliments destinés à une alimentation particulière (CEDAP). De 1999 à 2004, il a été le directeur de la Direction de lévaluation des risques nutritionnels et sanitaires (DERNS) au sein de lAgence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA). Il est membre du comité stratégique du Programme national nutrition santé (PNNS), du comité des experts en nutrition de lAFSSA et de lEFSA (lagence européenne), du Conseil national de lalimentation (CNA) et du Conseil national de la consommation (CNC).
* LInstitut Benjamin Delessert a pour vocation de participer au développement des connaissances médicales et scientifiques dans le domaine de la nutrition. Il soutient des projets de recherche, organise des débats et co-organise la Journée annuelle de nutrition et de diététique avec lHôtel-Dieu/Université
Paris VI. La 47e JAND sest tenue à le 27 janvier 2007 à Paris
Pour en savoir plus : ibd@institut-b-delessert.asso.fr
Sources Cerin. Mars 2007

Merci pour cette interview !
J’ai eu l’occasion de rencontrer Ambroise Martin en 2000 (c’était 1 de mes professeurs à la fac !).
En plus de ses connaissances, le Prof. Martin a de très grandes qualités humaines !
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