Une Française sur trois aura recours à une interruption volontaire de grossesse (IVG) durant sa vie de femme. Adolescente insouciante, amoureuse négligente ou femme abusée, toutes ont vécu avec anxiété cette grossesse inattendue. L’angoisse des règles qui tardent à venir est la même pour toutes. Le test de grossesse qui réjouit les jeunes mariées impatientes de fonder une famille, peut être terrifiant pour toutes celles qui n’ont pas le désir d’enfant. Chaque année, 220 000 avortements sont pratiqués en France. Il s’agit majoritairement d’IVG médicamenteuse avec une prise de mifépristone et de prostaglandines (coût : 200 euros). Les interventions chirurgicales par aspiration de l’œuf sous anesthésie locale ou générale (600 euros) sont moins fréquentes aujourd’hui qu’hier.
Quarante ans après la légalisation de l’IVG, en ce mercredi 26 novembre 2014, le ressenti des femmes est toujours le même. « Aucune femme n’a recours de gaieté de cœur à l’avortement, c’est toujours un drame, cela restera toujours un drame ». Cette phrase prononcée au perchoir de l’Assemblée nationale par Simone Veil marque un tournant dans légalité des droits homme-femme. Le jour où les femmes ont eu enfin le droit de disposer de leur corps en toute légalité. Aujourd’hui, l’IVG est menacé non pas par des fanatiques religieux, mais pour des raisons économiques. 5 % des établissements publics et 48 % des établissements privés pratiquant l’IVG ont fermé ces dix dernières années, soit plus de 130 établissements au total. En outre, « 37 % des gynécologues partiront à la retraite dans les cinq ans », alerte le Haut Conseil, craignant « l’absence d’une relève militante ».
« La nature a déjà fait son œuvre à mon corps défendant »
Stéphanie, la quarantaine, n’oubliera jamais le lieu, le jour et l’heure de son IVG. C’était le 6 juin 1988 à la clinique du Trocadéro à Paris. « Je me souviens lorsque je me suis habillée le matin, une jupe longue noire, un pull orange et des bottes en daim. Je me souviens de tout. Du trajet en train, du sourire de l’hôtesse d’accueil à la clinique, des mots rassurants des infirmières, de mon reflet dans le miroir de la chambre, de ma chemise de nuit… Du moment où l’anesthésiste a posé le masque sur mon nez et ma bouche… Lorsque j’y repense aujourd’hui, j’ai l’impression de me voir agir, comme dans un film, tout y est. Je n’oublierai jamais le goût de ce thé au lait que j’ai bu à mon réveil dans ma chambre, jamais je n’ai eu ce goût dans la bouche depuis« .
Elle se rappelle de chaque jour de cette courte grossesse, c’était il y a vingt-cinq ans. Elle se souvient de ses terreurs nocturnes dans sa chambre d’adolescente. « Des prières, des coups dans le ventre, mais il était trop tard, je le savais. La nature avait déjà commencé son œuvre à mon corps défendant ». Les jours passent et les règles ne viennent pas. A la sortie du laboratoire, le verdict tombe, l’analyse de sang est implacable. Puis, tout va très vite, il ne faut pas attendre. Le délai légal en France est de 12 semaines pour interrompre une grossesse.
Consultation, échographie, puis rendez-vous à la clinique. « Le jour-J, ce n’est pas de gaieté de cœur que vous vous allongez sur le brancard. Les larmes coulent le long de vos joues, vous êtes perdue. Changer d’avis ? Oui, bien sûr, on y pense jusqu’au bout. Mais que faire de ce bébé ? Quel avenir pour lui ? Les émotions chamboulées par l’afflux hormonal vous submergent. Vous le savez, ce n’est pas « la » seule solution, non bien sûr, mais c’est LA bonne solution, pour lui, pour vous à ce moment de votre vie ».
Vingt-cinq ans plus tard, vous y pensez toujours. « Comment serait-il ? Ah ? Tiens ! J’ai dit « il », j’ai toujours été convaincue que ce serait un garçon ». Et, vingt-cinq ans après cette décision qui a, sans nul doute, été l’une des plus courageuses de sa vie, Stéphanie assume. Mère de trois enfants, elle consacre tout son temps à leur confort, leur éducation. « La culpabilité s’est estompée, mais je ne l’oublierai jamais. Ce n’est pas un acte anodin, ce n’est pas une décision facile à prendre, mais j’avais 17 ans, ni travail, ni argent, qu’aurais-je pu offrir à cet enfant ? »