Il y a de plus en plus denfants trop gros. Excès de fast-foods, de boissons sucrées, manque dexercice ? « Cela est loin de tout expliquer », dit aujourdhui le Pr Patrick Tounian, pédiatre À lhôpital Armand-Trousseau, Paris. Pour quun enfant devienne obèse, il faut quil ait une prédisposition génétique ou qu’il soit programmé pour le devenir par des éléments acquis dans le ventre maternel ou dans les premiers mois de la vie… « Tous les enfants ne sont pas programmés ainsi, même sil y en a de plus en plus dans ce cas. La prévention telle qu’elle est faite actuellement, pour être efficace, ne devrait pas concerner lensemble des enfants, mais seulement les enfants à risque ».
Nutrinews: Comment expliquer lobésité des enfants ?
Pr Patrick Tounian : « On accuse avec justesse un environnement favorable à lobésité : accès facile à la nourriture, excès de télévision, dordinateur et de jeux vidéo au détriment de lexercice physique, etc. Mais lenvironnement ne suffit pas à rendre un enfant obèse. Seuls les enfants constitutionnellement prédisposés peuvent devenir obèses. Ainsi, les nombreux enfants non programmés pour prendre du poids de manière excessive n’ont aucun risque de devenir obèses, même dans un environnement particulièrement obésogène. L’obésité ne menace donc pas la majorité des enfants de l’hexagone. Le fait que les enfants issus de pays aux conditions de vie difficiles soient plus sensibles à l’effet d’un environnement obésogène renforce cette idée. Il est effectivement probable que les nombreuses famines auxquelles ces pays ont été soumis par le passé ont sélectionné génétiquement les individus qui avaient la plus grande capacité à stocker de lénergie ».
NN : On a mis en cause le statut socio-économique. La pauvreté rend-elle obèse ?
Pr Patrick Tounian : « Il est vrai que dans tous les pays développés, on observe une association entre un bas niveau de revenus et lobésité. Mais cela ne veut pas dire que la pauvreté rend obèse. Ainsi aux Etats-Unis, où les comparaisons inter-ethniques sont autorisées, la population noire ou amérindienne a presque deux fois plus denfants obèses que la population blanche. Lorsque les enfants blancs vivent dans des familles ayant un meilleur statut socio-économique, le risque dobésité diminue. Chez les enfants noirs, cest le contraire: le risque augmente avec lamélioration des revenus et de la position sociale. Les enfants noirs, qui ont une prédisposition à lobésité plus grande, sont dautant plus susceptibles de subir les effets dun environnement favorable à lobésité quils ont les moyens financiers dy accéder. Donc ce n’est pas la pauvreté qui rend obèse mais l’obésité qui concentre les pauvres notamment en raison de la discrimination socio-économique dont sont victimes les obèses, quel que soit leur âge. Il faut cibler la prévention sur les enfants à risque ».
NN : Exclusivement génétique ?
Pr Patrick Tounian : « Lenvironnement alimentaire ne peut jouer un rôle que si la prédisposition existe. Toutefois, la prédisposition constitutionnelle à lobésité n’est pas exclusivement génétique, Il existe effectivement aussi une programmation précoce, dans le ventre maternel ou dans tous les premiers mois, de la vie. Plusieurs facteurs pourraient intervenir : la dénutrition de la mère pendant les deux premiers trimestres de la grossesse, lusage du tabac, le diabète lié à la grossesse, un poids de naissance de lenfant supérieur à 4kg, lallaitement artificiel plutôt que maternel, un excès de protéines et dacides gras oméga 6 dans lalimentation de lenfant. On a même évoqué la possibilité de lintervention de certains microbes: lobésité serait alors une forme dépidémie infectieuse. Des travaux sont en cours, car ces hypothèses demandent à être confirmées. Elles vont, à mon avis, prendre une importance considérable dans les prochaines années ».
NN : A quoi est due laugmentation du nombre des enfants obèses ?
Pr Patrick Tounian : « Les effets de labondance alimentaire, de la sédentarité et de la société de consommation sont indéniables. Mais ils ne contredisent pas la théorie dune prédisposition constitutionnelle à lobésité : ils nont fait que sexercer au maximum et se sont étendus progressivement à lensemble des enfants prédisposés. A cela sajoute laugmentation du nombre denfants issus de limmigration, dont la prédisposition génétique à lobésité est plus grande. Aux Etats-Unis, elle explique pour une large part laugmentation de lobésité infantile depuis 30 ans. En France, où ces statistiques ne sont pas autorisées, il en est vraisemblablement de même. Les médecins qui suivent des enfants obèses depuis une vingtaine dannées en font le constat. Enfin, il ne faut pas oublier les hypothèses que jai mentionnées : par exemple, la possibilité dune origine infectieuse, ou encore laugmentation de la consommation dacides gras oméga 6 liée à la promotion des matières grasses dorigine végétale aux dépens de celles dorigine animale. Lavenir nous réserve peut-être des surprises de ce côté… »
NN : Si lon se réfère aux statistiques de lOMS,comment expliquer la relative protection des enfants français vis-à-vis de lobésité ?
Pr Patrick Tounian : « Une nouvelle fois, la prévalence de l’obésité infantile dans un pays industrialisé traduit la proportion d’enfants prédisposés à cette maladie et non des différences significatives d’environnement obésogène. On peut ainsi noter que la pente d’augmentation de la prévalence de l’obésité infantile est identique en France et aux Etat-Unis depuis une trentaine d’années ».
NN : Le rôle de la société moderne dans le développement de lobésité sen trouve-t-il amoindri ?
Pr Patrick Tounian : « On accuse traditionnellement lindustrie agroalimentaire. On pourrait de manière quasiment équivalente mettre en cause lindustrie automobile ou les progrès du chemin de fer, qui favorisent la mécanisation des déplacements! Tous ces effets de la modernité ne sexercent que sur des cibles prédisposées. Il faut ajouter que notre mode de vie, réputé favorable à lobésité, saccompagne aussi dune augmentation significative de lespérance de vie ».
NN : Peut-on malgré tout agir contre lobésité infantile ?
Pr Patrick Tounian : « Certainement, mais pas de la manière que lon préconise! Il est souhaitable que les enfants consomment plus de fruits et légumes, de produits laitiers ou fassent plus dexercice. Mais laisser penser que tous les enfants sont menacés ne peut quaccroître la discrimination sociale envers ceux qui, en dépit de tous les avertissements, vont devenir obèses. Et chez ceux qui ne sont pas prédisposés, on risque dinduire des troubles du comportement alimentaire. Les conduites alimentaires pathologiques sont dailleurs en augmentation aujourdhui. Pour prévenir lobésité, il ne sert à rien de terroriser tous les jeunes, de diaboliser lindustrie agroalimentaire, dinterdire les publicités télévisées ou les distributeurs de boissons. Il est pareillement inefficace de valoriser les glucides complexes ou de dénigrer les sucres ajoutés : De même, taxer les produits gras et sucrés reviendrait sans doute à appauvrir les plus pauvres… Toutes ces mesures satisfont sans doute lidéologie de ceux qui les prennent ou leur donnent bonne conscience (il faut bien que les Etats fassent quelque-
chose…), mais elles seront dans lensemble inefficaces. Elles engloutissent par ailleurs des budgets considérables, qui seraient mieux employés, par exemple, pour la recherche. J’aimerais toutefois préciser un point, je n’ai pas dit que toutes les mesures que j’ai citées étaient des inanités, certaines sont probablement justifiées. Je pense simplement que l’argument de la prévention de l’obésité utilisé pour les appliquer est fallacieux, ou du moins sans justification scientifique ».
NN : Que faire?
Pr Patrick Tounian : «Cibler la prévention sur les enfants à risque. Cest le rôle du médecin, qui doit les dépister le plus précocement possible. Deux indices sont extrêmement importants aujourdhui: lexistence dune obésité chez les parents et, chez lenfant, un rebond de lindice poids/taille avant lâge de 6 ans (voir encadré). Ces deux signes justifient une prise en charge immédiate. Il est de la responsabilité des professionnels de santé de faire ce dépistage. A charge pour eux dinformer ensuite les familles sur les mesures quelles doivent prendre pour leur enfant. Limiter les quantités, respecter les rythmes alimentaires, éviter les grignotages, favoriser la consommation de fruits et légumes au détriment des produits trop gras et sucrés, promouvoir les activités physiques plutôt que les loisirs sédentaires, etc : seuls les parents peuvent mener à bien cette éducation. Ni lécole ni les pouvoirs publics ne peuvent le faire ! »
NN : Est-ce réaliste ?
Pr Patrick Tounian : «Cest en tout cas la seule voie actuellement possible. Lexpérience nous montrera si, grâce à ces mesures, les enfants prédisposés peuvent ou non résister à un environnement qui favorise lobésité. Il faut pour le moment faire preuve dhumilité sur les succès attendus. Pour lavenir, il conviendra surtout de miser sur la recherche, qui devrait mettre à jour les mécanismes de programmation de lobésité, de régulation du poids et de contrôle de lappétit. Ainsi pourrait-on espérer la double mise au point de stratégies préventives et de médicaments adaptés au traitement de lobésité. Linvestissement dans ces recherches me paraît prioritaire, au regard de ce qui est fait aujourdhui en faveur de programmes grandiloquents et somme toute inefficaces! Lorsque les facteurs de programmation précoce seront mieux connus, on pourra enfin mettre en place des programmes de prévention collective adaptés».
Sources Nutrinews
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