Karina Alt est une maman de trois enfants dont le second enfant est autiste. Elle est membre de l’association Léa pour Samy – La Voix de l’enfant Autiste, antenne départementale des Yvelines.
Voici son témoignage :
« Je suis la maman de trois enfants dont le second âgé de 7 ans est autiste et actuellement scolarisé en CP, après que nous ayons bataillé 5 ans pour le faire diagnostiquer et suivre correctement : Ce n’est pas le handicap qui fait souffrir le plus une famille, c’est le mauvais accueil que réserve la société à cette personne si différente c’est le silence que les médias opposent à nos cris d’alerte, c’est l’indifférence de l’Etat face à nos appels à l’aide. Et c’est la stigmatisation constante à laquelle les familles sont soumises qui est source de douleur. Mon enfant, si différent, si spécial, si extraordinaire est pour moi une source d’amour infini.
« Mes enfants sont ma richesse »
Ce que j’ai de plus précieux au monde ce sont mes enfants. En tant que parent, il m’appartient d’en prendre soin, de les éduquer, de les guider, jusqu’à ce qu’ils soient capables de se prendre en charge. Mes enfants
sont ma richesse, un bonheur dont je prends soin, comme je cultiverais une plante rare et éphémère.
Car l’enfance n’est finalement qu’une courte période dans la vie des individus, mais une période ou tout se décide. Si, pour reprendre mon analogie végétale, notre plante manque de soin, de nourriture ou d’eau pendant cette phase, cela entraîne inévitablement un effet néfaste pour son développement. Il arrive aussi que certains plants, pourtant issus de souches robustes nécessitent plus de soins, et de temps pour développer leur pleine potentialité et participer au cycle de la vie. Si l’enfant qui vient au monde ne reçoit pas de soins adaptés à ses besoins, si on ne respecte pas son rythme, si l’on ne met pas tout en ouvre pour faciliter son plein épanouissement, et d’autant plus s’il est malade ou handicapé, cela entraîne immanquablement un gâchis humain.
Ainsi, lorsque la Nature (d’aucuns appelleraient cela Dieu, ou le mauvais sort, ou la roulette génétique) vous fait cadeau d’un enfant malade ou handicapé, fragile, fragilisé, nous voilà propulsés nous, parents, dans un monde que nous aurions voulu ignorer tout au long de notre vie. Mais voilà, il n’y a aucun moyen de fuir, car nos actions, au delà de notre investissement de notre présence ou de notre absence auprès de cet enfant, seront toujours teintées par notre douleur.
La terminologie liée au « handicap » revoi à des notions d’exclusion
Et, la douleur d’avoir un enfant handicapé, « cassé », « abîmé », « anormal » est bien souvent due à la place que notre société lui attribue. Et non au fait que nous avons du mal à l’accepter tel qu’il est, non au fait que nous refusons de voir ses déficiences, non au fait que nous refusons de faire le deuil de sa normalité. Mais qui plus est, dans notre société, française, la terminologie liée au « handicap », renvoie invariablement à des notions d’exclusion de
différence de discrimination (intégration scolaire, sociale, citadine, association de défense) de fardeau (prise en charge éducative, thérapeutique, sociale), de souffrance (thérapie familiale, parents en souffrance, parcours du
combattant, etc).
Les représentations sociales dont le vocabulaire est le reflet témoignent ainsi d’une différence et d’un déficit qualitatif par rapport aux individus normo-typiques, acceptables, productifs entrant de plein droit dans le
système normatif social. Et ainsi, immanquablement , la terminologie employée véhicule des valeurs négatives, voire péjoratives.
Alors, quand un de ces enfants cassés à la normalité sociale naît dans une famille, la douleur qu’elle éprouve à son arrivée est augmentée par l’anticipation du combat qu’elle aura à livrer, d’abord, pour comprendre les
particularités de cet enfant, pour informer les proches malgré la douleur qu’ils éprouvent, pour le faire accepter par le reste de la société en lui faisant une place, ou il puisse se révéler utile ; car cela montrerait qu’il mérite les
soins qu’on lui apporte, qu’il est capable de progrès, qu’il n’est pas uniquement considéré comme un fardeau, qu’il peut non seulement évoluer favorablement, mais en plus être utile à la communauté, qui l’accepte, même avec ses limites, comme nous parents le faisons.
Mon enfant, handicapé, autiste, anormal, déficient, suscite chez moi autant d’amour et de joie qu son frère ou sa sour normaux. Mais aussi de la tristesse et de la crainte. Non pas à cause de son handicap, mais à cause des représentations sociales du handicap, à cause des concepts qui sont véhiculés dans la terminologie liée au handicap. Car tous les jours je sens qu’il est seulement toléré et qu’il n’a pas de place dans ce monde là. Tous les jours on me fait sentir que nous dérangeons, lui avec ses bizarreries et moi avec ma manie de vouloir l’imposer à la communauté (école, lieux de loisirs, clubs de sports.)
Mon enfant est handicapé, et rien ni personne ne changera jamais cela, mais pourquoi le handicap ne serait pas « normal dans une société? Pourquoi entraîne-t-il toujours des situations de différenciation? Pourquoi au
contraire ne serait-il pas une composante de la société?
Mais surtout, la douleur que j’éprouve est augmentée par la stigmatisation constante à laquelle la société et son administration nous contraint, sous prétexte d’accompagnement et de soutien (commissions, évaluations,
expertises, suspicions, culpabilisation). Comme beaucoup de parents, je vis chaque convocation comme une violence, une mise en accusation, ou je dois défendre les droits de mon enfant, ou mes choix sont évalués, discutés, contrôlés. Comme si je n’étais, du fait de handicap de mon enfant, capable de prendre de bonnes décisions, éclairées par la logique ; et la première des choses que l’on nous reproche c’est de ne pas faire le deuil de l’enfant normal de refuser d’admettre qu’il est handicapé.
Or sachez que la première préoccupation d’un parent d’enfant handicapé, c’est de savoir ce qu’il adviendra lorsque nous disparaîtrons. Et en ce qui concerne l’autisme, le problème est d’autant plus vif que la culture
générale est marquée par une profonde ignorance de la pathologie et de ses caractéristiques, même parmi les professionnels.
Alors on est inquiet, certes, car dans notre société, l’expérience nous le prouve tous les jours, il n’y a pas de place pour ces enfants. Dès la petite enfance, nous devons nous battre pour le faire garder dans une crèche, une nourrice, et bien souvent l’un des parents doit renoncer à son travail ; puis, on doit se battre pour le faire accepter à l’école «l’ intégrer », pour que l’on respecte ses droits et ainsi de suite tout au long de sa
vie.
Nous savons, l’expérience nous le prouve quotidiennement, que personne d’autre que nous, ne le fera, que l’on ne peut compter sur la société, qui s’empressera de l’orienter vers un institut, une structure ou il sera sans doute bien traité, le personnel compatissant, mais ou les chances d’évolution personnelle, seront inexistantes. Ou sous prétexte de bien-être il sera mis à l’écart de la société « normale ». En France il y a tellement peu de
structures spécialisées dans l’autisme, les listes d’attente longues de plusieurs années, que les enfants se retrouvent très vite dans des IME non adaptées à leur pathologie, soit déplacés vers les institutions Belges
ou là ils reçoivent une prise en charge adaptée, mais éloignés de leur famille, soit dans les hôpitaux psychiatriques, lorsque une fois adultes les parents ne peuvent pas les garder à la maison.
Actuellement les associations conseillent aux parents dont les enfants n’ont pas de prise en charge en institut, d’y penser et ce dès l’âge de 10 ans, afin de prévoir leur avenir dans une structure adaptée à l’autisme,
pour leur 20 ans ! Je n’ai rien contre une IME pour mon fils si elle est spécialisée dans la prise en charge de l’autisme, mais je crains les IME qui reçoivent une personne autiste car par manque de formation, le personnel est démuni pour le faire évoluer. Ceci dit, je ne pense pas que tous les cas d’autisme doivent être orientés dans des structure spécialisées. Et puis, l’inculture est telle dans le domaine de l’autisme, même parmi les médecins, qui refusent en France de diagnostiquer les enfants avant une moyenne de 5 ans! qu’il y a de quoi s’inquiéter ! Ailleurs on a des outils de diagnostic à partir de 15 mois !
Quand on sait qu’une prise en charge intensive précoce avant l’âge de quatre ans suivie pendant 2 ans aura 40% de chances de réintégrer l’enfant dans le suivi classique sans suivi ultérieur; que avec cette même prise en charge faite entre 4 et 6 ans le pourcentage tombe à 8%. (sources UFR de psychologie, Université de LILLE III), il y a de quoi s’inquiéter encore une fois.
Je ne veux pas pour mon fils une orientation en institution spécialisée, sans avoir auparavant essayé le milieu ordinaire. L’Etat doit nous aider à obtenir cette éducation efficiente, et adaptée à la pathologie. S’il ne le fait pas il condamne nos enfants sans appel!
De ce fait, les décisions que nous parents prenons, sont rarement dictées par notre inconscience de l’état de notre enfant ou de notre refus de voir la réalité, mais au contraire, ce qui nous motive c’est de lui permettre d’aller le plus loin possible, afin qu’il soit le plus indépendant possible, en prévision du jour ou nous mourrons. En cela, nous ne sommes pas si différents des parents d’enfants ordinaires, sauf peut-être dans notre acharnement à prouver, en dépit des avis médicaux et des pronostics défavorables, qu’il est capable et bien plus savant qu’on ne nous laisse entendre. Non parce que nous le surestimons, mais parce que nous, nous connaissons réellement ses capacités, son potentiel mais aussi ses lacunes et ses difficultés.
« Nous n’avons pas le droit à l’erreur »
En cela, nous sommes les premiers spécialistes de nos enfants. Le manque d’objectivité dont les spécialistes nous accusent n’est pas toujours pertinent, car l’enjeu étant si élevé, nous savons que nous n’avons pas le droit à l’erreur, et toutes les décisions que nous prenons, sont plutôt le fruit de décisions éclairées, réfléchies, discutées, évaluées, que le produit de notre anxiété ou notre souffrance.
Mais malgré cela, nous doutons, car l’enjeu étant élevé, la pression est constante, le spectre d’une erreur commise, d’un choix inapproprié ou d’une exigence trop anticipée peut faire pouvant avoir des conséquences catastrophiques.
La société française change certes, le souci de justice et de compensation est présent et la nouvelle loi pour l’égalité des chances en est l’illustration, mais au delà des décrets, ce sont les représentations collectives qu’il faudrait changer, afin de permettre une réelle égalité des chances et de vie qualitative.
Tant que handicap rimera avec différence, déficience, incapacité, tant que handicap sera associé à des valeurs négatives, tant que handicap sera occulté, craint, ignoré, tant que handicap ne sera pas synonyme d’une normalité particulière qu’il faut prendre en compte, toutes les lois ou dispositions particulières, qui pourtant visent à protéger, auront tendance à marginaliser, discriminer, stigmatiser.
Car tant qu’il y a comparaison il y a différence, tant que la différence n’appartient pas la norme et que des valeurs lui sont attribuées, il n’y a pas d’égalité ».
Karina Alt
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