Infirmière affectée au travail de nuit, Sylvie Pioli est opérée pour un cancer du sein en 2015, radiothérapie, hormonothérapie… Comme de très nombreuses Françaises (50 000 nouveaux cas par an), elle suit ce parcours de soin. Au détour d’une consultation, un médecin lâche une information qu’elle ignorait jusqu’alors « un lien entre le cancer du sein et le travail de nuit ». Pourtant des études existent depuis 2007, le risque d’avoir un cancer du sein est 30 fois supérieur chez les travailleuses de nuit que chez les autres salariées. Dès lors, Sylvie part en croisade pour l’amélioration de la surveillance médicale des salariées qui travaillent la nuit et la reconnaissance du cancer du sein comme maladie professionnelle pour cette catégorie de personnel. Avec des amies et collègues, elle crée une association CycloSein et part sur les routes pour plaider cette cause tout en faisant la promotion d’une pratique sportive régulière pour prendre soin de sa santé. En septembre 2016, elle organise un périple à travers la France et tente de rencontrer la ministre de la Santé, mais en vain. Après quelques annulations, Sylvie sera reçue par des médecins au ministère, sept mois se sont écoulés depuis ce rendez-vous et aucune réponse n’a été apportée aux demandes de l’association. Le point avec Sylvie Pioli, présidente de CycloSein.
Dans quelles conditions avez-vous fondé l’association CycloSein ?
Sylvie Pioli : « En décembre 2014, sous la douche, je sens une grosseur au niveau de mon sein droit. Je pars immédiatement consulter mon médecin traitant qui m’oriente en urgence vers un gynécologue à l’hôpital. J’ai de la chance, je suis infirmière dans cet hôpital, et j’arrive à rencontrer ce gynécologue entre deux consultations. Celui-ci m’oriente immédiatement vers le plateaux technique d’imagerie de l’hôpital : mammographie, échographie, biopsie. Le diagnostic tombe 8 jours plus tard, juste avant les fêtes de Noël, par un coup de téléphone du gynécologue : cancer. L’intervention est programmée début janvier 2015 (qui précisera le diagnostic initial en « cancer du sein canalaire in situ stade I avec adénocarcinome de 1,7cm ») et sera suivie de 33 séances de radiothérapie pendant 3 mois. En avril 2015, je débute une hormonothérapie qui durera 5 ans. Des centaines de milliers de femmes ont vécu cette histoire, et j’en ai rencontré beaucoup, dans les salles d’attentes des services de radiothérapie, dans les taxis qui m’amenaient à l’hôpital 3 fois par semaine… Et je me suis vite rendue compte que ma prise en charge avait été exceptionnellement rapide. L’immense majorité de ces femmes a beaucoup moins de chance que moi ; elles mettent souvent plusieurs mois pour entrer dans ce même parcours de soins… Et le temps est un facteur déterminant dans la prise en charge de cette pathologie. Ce constat a posé la première pierre de ma réflexion : quand je serai guérie, je ferai quelque chose pour accélérer cette prise en charge. De la prévention ? de la sensibilisation ? de l’information ? On verra tout cela plus tard… Je n’avais pas le temps d’organiser tout cela dans ma tête, j’étais dans l’incompréhension de ce qui m’arrivait, tout allait si vite, je ne contrôlais rien, je me laissais guider. Un jour, lors d’une énième consultation avec un médecin, celui-ci me lâche, en réponse à mes interrogations : « de toute façon ne cherchez pas plus loin, la cause de votre cancer, c’est parce que vous travaillez la nuit ». Moment de flottement, cette phrase résonne dans ma tête et ne me lâchera plus jusqu’à aujourd’hui. Je décide alors de me documenter sur le sujet, sur internet, mais aussi en discutant avec des collègues soignants, médecins. Je constate tout de suite que personne ne semble être au courant de ce facteur de risque. Très vite, je découvre sur internet le résultat d’une étude de l’INSERM (l’étude CECILE), publiée en 2010, qui confirme que le risque de cancer du sein chez les femmes ayant travaillé de nuit (de 23h à 5h, à un moment quelconque de leur carrière) est augmenté de 30% par rapport aux femmes qui n’ont jamais travaillé de nuit. C’est pour moi l’information qui manquait à ma réflexion et qui peut expliquer ce qui m’arrive, et ce qui arrive à beaucoup de collègues infirmiers et aides-soignants autour de moi. Voila un axe, peu connu et délaissé, à étudier pour se battre contre ce cancer. Je vais en effet me lancer dans la prévention, la sensibilisation et l’information, mais autour du travail de nuit. Avec quelques collègues et ami(e)s, avec qui je partage d’une part ces réflexions, et d’autre part une passion pour le VTT, nous décidons, en septembre 2015, de créer une association, qui visera à atteindre, par la promotion du sport, quatre objectifs : sensibiliser la population et les pouvoirs publics sur le risque de cancer du sein généré par le travail de nuit ; améliorer le surveillance médicale du personnel de nuit ; optimiser la participation de la médecine du travail ; obtenir la reconnaissance du cancer du sein comme maladie professionnelle. Le nom de cette association nous apparaît comme un évidence : « CYCLO » pour le vélo et / ou les rythmes circadiens, et « SEIN » pour le cancer du sein. Le siège est localisé à Saint Mitre les Remparts dans les Bouches du Rhône ».
Combien y a t-il de membres et qui sont-ils ? Des professionnels de santé ou des malades ?
SP : « Fin 2016, nous comptions 226 adhérents et membres actifs de l’association. L’adhésion étant annuelle, les compteurs sont repartis à zéro en ce début d’année, mais nous sommes sur le même objectif. Nos adhérents sont en majorité des professionnels de santé (médecins, infirmiers, aides-soignants…) qui travaillent ou ont été amenés à travailler la nuit à un moment de leur carrière. D’autres professionnels, aux horaires de travail atypiques, sont assez bien représentés parmi nos adhérents, c’est le cas par exemple des hôtesses de l’air. Un dernier groupe représentatif de nos adhérents rassemble les familles ou proches de personnes travaillant la nuit, qui cherchent de l’information. Certains nous ont découvert parce qu’ils travaillent de nuit, d’autres parce qu’ils ont eu ou ont un cancer, ou les deux. Au delà de la présidence de l’association, je suis entourée de manière assez classique, d’un trésorier et d’un secrétaire, ainsi que d’un responsable de la communication, qui m’aide à organiser et à relayer nos messages d’information et de sensibilisation ».
Votre association a organisé un périple à vélo en septembre 2016 pour rallier le ministère de la Santé à Paris depuis Saint Mitre les Remparts (13), pourquoi cette aventure ?
SP : « Pour atteindre nos 4 objectifs fondateurs, il nous fallait rencontrer des institutions publiques de santé. L’idée nous est venue naturellement de nous rendre au ministère de la Santé à VTT, en traversant la France, et en profitant de chaque étape pour relayer notre message de sensibilisation aux populations. Une idée un peu folle, mais qui nous permettait de réaliser un « coup de comm’ » et d’arriver au ministère avec une force supplémentaire, et un message clair : « Je travaille la nuit, j’ai eu un cancer, je suis guérie, je pratique un sport, et je souhaite que cela n’arrive plus à personne ». Nous avons préparé notre périple pendant une année. Une année à s’entraîner physiquement bien entendu, mais une année aussi à préparer notre dossier sur le sujet : recherche d’articles et de publications (constitution d’un dossier de 200 pages), pétition de soutien (5.000 signatures), programmation d’une conférence avant le départ (par le Pr. Pierre-Marie Martin, professeur émérite des hôpitaux et facultés d’Aix-Marseille) et organisation des rencontres-étapes le long de notre parcours (Sarras (07), Laizy (71), Tonnerre (89), Montereau (77)…) avec l’aide des municipalités, d’associations et de la presse locale. Ce périple a rassemblé 8 VTTistes, 1 fourgon, pendant 15 jours, sur 1.104km à travers la France ».
Avez-vous été reçue au ministère de la Santé ?
SP : « Nous avons sollicité le ministère à maintes reprises, qui a fini par accepter notre rendez-vous, puis l’a refusé quelques semaines plus tard en nous orientant vers notre Agence Régionale de Santé, comme si le cancer du sein était une affaire régionale… Après des semaines de discussions épistolaires stériles, nous sommes quand même partis le 10 septembre, sans rendez-vous officiel. Mais, un certain nombre de rencontres politiques, des articles dans les médias… ont certainement dû débloquer la situation, puisque 4 jours avant notre arrivée, nous étions avertis par e-mail, de la validation de notre rendez-vous, au jour et à la date prévue à l’origine. C’est ainsi que nous avons été reçus au ministère de la Santé, le 26 septembre à 14h, par 2 médecins spécialisés dans les maladies chroniques non transmissibles, pendant une quarantaine de minutes, à qui nous avons pu remettre notre dossier complet. A ce jour, nous attendons toujours un retour… »
Qu’est-ce que la reconnaissance du cancer du sein comme maladie professionnelle pour les travailleurs de nuit apporterait comme avancée ?
SP : « La reconnaissance officielle du travail de nuit comme facteur de risque du cancer du sein permettrait, d’une part, la mise en place d’actions de santé publique pour la prévention et la surveillance du personnel de nuit, et d’autre part, un meilleur suivi chez les travailleurs déjà touchés, et chez ceux non affectés partant ou partis à la retraite, ou ayant changé de métier (à partir du moment où ils ont travaillé au moins 4 années de nuit) ».
Le lien entre cancer du sein et travail de nuit est pointé du doigt par des études notamment l’Inserm, où en sommes-nous ?
SP : « En 2007, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a classé le travail de nuit comme cancérigène probable. En 2010, l’étude française CECILE de l’Inserm confirme que le risque de cancer du sein chez la femme ayant travaillé de nuit (de 23h à 5h, à un moment quelconque de leur carrière) est augmenté de 30% par rapport aux femmes qui n’ont jamais travaillé de nuit. En 2012 la Haute Autorité de Santé (HAS) a publié des recommandations de bonnes pratiques pour la surveillance des travailleurs de nuit. En juin 2016, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement & du travail (ANSES) a publié un rapport entièrement disponible sur son site, et montre qu’il existe un grand nombre d’effets sanitaires du travail de nuit, dont le cancer du sein. Les éléments de preuve ont porté sur 24 études internationales (pour information le Danemark a déjà indemnisé 37 infirmières). Le groupe d’experts considère qu’il existe des éléments en faveur d’un excès de risque de cancer du sein associé au travail de nuit, avec des éléments de preuves limitées. Ces éléments de preuves sont toutefois plus nombreux qu’en 2010. Le classement de niveau de preuves a été fixé à « effet probable ».
Rapport et recommandations de l’ANSES : Revoir l’adaptation de la réglementation en vigueur pour la protection de la santé ; Ajuster dès à présent la surveillance médicale des travailleurs de nuit et même après la cessation d’activité ; Informer les instances concernées d’évaluer les pertinences de l’inscription de certaines pathologies au tableau des maladies professionnelles ; Poursuivre les études épidémiologiques ».
Quelle est l’actualité de votre association ? Les projets ?
SP : « Nous continuons à informer et sensibiliser la population en intervenant dans des forums spécialisés en santé et dans des lycées, en créant et distribuant des supports d’information (dépliants…) Nous organisons régulièrement des sorties conviviales et familiales à VTT dans notre région. Nous recueillons aussi des lettres de témoignages de personnes ayant travaillé la nuit et ayant contracté un cancer du sein (dans l’éventualité d’une action de groupe pour la reconnaissance de la maladie professionnelle), nous sommes d’ailleurs en relation avec une autre association qui a entamé des démarches. Enfin, nous préparons des actions pour octobre rose 2017, et pourquoi pas organiser un périple encore plus fou, vers le parlement européen à Strasbourg ou la commission européenne à Bruxelles ? » (rires)
Parlez-nous de vous ?
SP : « J’ai 59 ans, je suis infirmière depuis 1978. Après 5 années en poste de jour, suivis de 5 années de disponibilité parentale, j’ai poursuivi ma carrière en poste de nuit dans la fonction publique hospitalière pendant les 30 années suivantes. J’ai occupé pendant toutes ces années un poste d’infirmière de pool, polyvalente, en médecine, chirurgie et urgences. Je suis à la retraite depuis juillet 2016″.
Comment peut-on vous aider ?
SP : Tout le monde peut déjà nous soutenir en nous suivant simplement sur les réseaux sociaux (http://www.facebook.com/Cyclosein et www.twitter.com/cyclosein), et y trouver des informations sur le sujet, que chacun pourra partager auprès de ses proches. Il est aussi possible de nous soutenir financièrement en adhérant (10€ pour un an) ou en faisant un don (toutes les informations sont sur notre page Facebook).
Propos recueillis par Clara Baud pour Parlonssante.com
