Les métiers de la santé, Pédiatrie, Puériculture

Grogne des infirmières puéricultrices : le témoignage d’Elsa qui dénonce le ras le bol de la profession : « Les enfants ont besoin d’être soignés par des personnels spécifiques, compétents et formés ! »

parlossante-com12La grogne des personnels infirmiers (#Soigne et tais-toi) se poursuit sur le front social en ce début d’année 2017. Marisol Touraine, la ministre de la Santé n’a toujours pas daigné recevoir personnellement les représentants des organisations associatives et syndicales qui plaident pour la reconnaissance de la spécialisation « puériculture » qui a disparu de la formation initiale. Elle en aura l’occasion le 24 janvier prochain date d’un grand rassemblement organisé dès 13h sur le parvis de la gare Montparnasse et dont le cortège convergera vers le ministère des Affaires sociales et de la Santé. Nous avons souhaité sur parlonssante.com donner la parole à ces infirmiers qui dans l’ombre des ténors des services de médecine sont au cœur du système de santé français, au plus près des malades, souvent tiraillés entre les exigences comptables des structures hospitalières et l’accompagnement des patients et de leurs familles. Elsa a 31 ans, elle est infirmière DE 2007 et puéricultrice DE 2008 (Ifsi et école de Puer du Centre hospitalier universitaire de Rouen).

Puéricultrice depuis 8 ans en service de néonatologie niveau 3 du Centre hospitalier universitaire de Caen. Elle travaille de nuit depuis 7 ans. Elsa perçoit une rémunération de 2050€ net (primes de dimanche et de nuit comprises).  Elle nous parle de sa passion pour son métier, de ses missions techniques au quotidien mais aussi de son sentiment d’incompréhension face à un système qui place la rentabilité des services avant la sécurité des patients. Elle plaide pour la reconnaissance de sa spécialisation « puériculture » indispensable pour la prise en charge des enfants hospitalisés.

Interview

Pourquoi avoir choisi cette spécialisation « puériculture » ? 

« J’ai toujours eu le souhait de travailler auprès des enfants. Pour moi, la spécialisation de puéricultrice était indispensable non seulement pour m’assurer ce poste mais aussi pour avoir un complément de formation concernant la santé de l’enfant, la prise en charge de la dynamique familiale mais aussi la protection de l’enfance et le management. Cette formation s’effectue sur 12 mois. Elle est spécifique à tout ce qui touche l’enfant et son environnement: pathologies, développement psycho-affectif, législation, droit, modes de garde, protection de l’enfance, … Elle nous permet notamment d’avoir un regard différent et notamment à développer nos compétences d’observation globale. Certes, l’expérience professionnelle peut permettre d’acquérir certaines de ces connaissances/compétences mais pas toutes ».

Aujourd’hui la formation initiale des infirmières n’a plus cette approche pédiatrique c’est une revendication de votre mouvement ?

« Oui, les nouvelles diplômées infirmières (depuis 2012) n’ont plus aucun apport théorique de pédiatrie ni de stage obligatoire en pédiatrie durant leurs études. Au vu des restrictions budgétaires des hôpitaux, les service des ressources humaines privilégient l’embauche d’infirmières au détriment des puéricultrices ce qui est dommageable pour tous. Ces jeunes infirmières se retrouvent en difficulté car ne connaissent rien sur l’enfant sain et ses spécificités et encore moins sur l’enfant malade. Elles n’ont pas de connaissances non plus concernant l’allaitement maternel ni sur la prématurité. Pour moi, ce manque de connaissances engendre un risque pour le patient et sa famille ».

Pouvez-vous nous décrire une journée « type » ? Horaires, missions… ?

« Je travaille dans un service de réanimation néonatale qui accueille des enfants prématurés (à partir de 25 semaines d’aménorrhée) ou non en détresse vitale. Ce sont des enfants très instables qui nécessitent de nombreux gestes de réanimation. Ils sont soit intubé, soit en ventilation non invasive avec des cathéters centraux, en incubateur. Nos missions sont d’assurer les soins techniques (injections, aspirations, soins d’hygiène et de confort, bilan sanguins, prélèvements, sondes gastriques, …), accompagner les parents dans l’apprentissage des soins à leur enfant ainsi que dans leur parentalité, aider les enfants à acquérir une autonomie respiratoire ainsi qu’une autonomie alimentaire, accompagner les mères dans leur allaitement maternel, installer les enfants en peau à peau, … Parfois, nous devons également accompagner des bébés en fin de vie ainsi que leurs familles ».

Avez-vous eu des moments de grande détresse ? Dans quelles circonstances ?

« Les situations les plus difficiles pour moi sont d’accompagner des parents dans leur processus de deuil. Parfois, certains bébés présentent de trop grosses séquelles qui sont « incompatibles avec la vie ». Grâce à la loi Léonetti, les médecins effectuent des réunions d’éthique afin de discuter de la situation de l’enfant et du projet de soin qui peut lui être proposé. Quand la décision prise et de continuer sur une prise en charge palliative, nous sommes là pour accompagner l’enfant et soutenir ses parents. Ces situations de grande détresse affective sont parfois difficiles à gérer pour nous soignants ».

Avez-vous songé à changer de métier ?

« Je n’ai jamais pensé à changer de métier car pour moi, c’est une passion ! Cependant, je pense de plus en plus à postuler en extra hospitalier (Centre de protection maternelle et infantile ou structure d’accueil). En effet, en début de carrière le soin technique nous semble être une priorité. Puis, avec l’expérience, toute la part éducative et préventive de notre métier passe au premier plan ».

Qu’est-ce qui vous porte au quotidien ?

« Les bébés et leurs familles que j’accompagne. S’occuper d’un bébé en détresse vitale en réanimation, le voir évoluer au fil des semaines pour aboutir à un retour à domicile serein avec des parents comblés c’est ça, le cœur de mon métier ! »

Votre association professionnelle dénonce un sentiment d’abandon du ministère de Marisol Touraine, comment cela se traduit-il au quotidien ? 

« Nos travaux de réingénierie sont à l’abandon au ministère depuis 2008. Notre spécialisation n’est pas reconnue et donc méconnue du grand public. Régulièrement on nous confond avec les auxiliaires de puériculture ! Nos compétences en management sont complètement ignorées. Et dans certains départements, les conseils départementaux privilégient l’embauche d’infirmière au détriment des puéricultrices ! L’enfant, sa santé et son développement ne semble pas être une priorité ! »

Quelles sont vos doléances principales ?

« Nous dénonçons : l’embauche d’infirmier(e)s sur des postes d’infirmières puéricultrices en néonatalogie ou réanimation. Le discours des administratifs ou cadres disant que de toutes les façons une infirmière depuis quelques années dans un service fait « la même chose ». En maternité, les auxiliaires de puéricultures se font appeler puéricultrices (confusion dans l’esprit des parents). Nous déplorons l’ignorance de nos missions et  la mise en œuvre de nouveaux métiers alors que l’infirmière puéricultrice diplômée d’Etat (IPDE) est en capacité de le réaliser et le fait déjà. Nous dénonçons la non reconnaissance de la pratique avancée en pédiatrie et la prise en charge des enfants en hospitalisation à domicile (HAD) et en libéral par des infirmières non spécialisées. ».

Avez-vous le soutien de votre hiérarchie ?

« A l’hôpital, je n’ai pas l’impression d’avoir un soutien de la part de notre hiérarchie. Les puéricultrices sont peu à peu remplacées par des infirmières ou du personnel de remplacement au détriment de la sécurité des patients et du personnel ».

Parlez-nous de la mobilisation lancée par vos syndicats, pourquoi est-ce qu’elle intervient maintenant ?

« Le ras le bol croissant, le manque de considération de nos professions, les restrictions de personnel qui amènent une mise en danger des patients et du personnel (nombreux suicides d’infirmiers…). De ce que j’entends, il y a une grande fatigue liée à la charge de travail et au non ou mauvais accompagnement des familles. Il y a une insatisfaction de la prise en charge globale. Les jeunes infirmier(e)s non spécialisées sont en souffrance permanente car non formées à la minutie des traitements pédiatriques : calculs de dose source d’erreur de traitements et soins difficiles à réaliser entraînant une insatisfaction professionnelle. Le manque d’effectif au regard des demandes et exigences tant parentales que médicales. La souffrance des infirmières étudiantes puéricultrices mais aussi des étudiants infirmiers et AP/AS par manque de tutorat ».

Expliquez-nous concrètement ce qu’est votre demande sur la réingénierie de la formation et l’universitarisation ?

« Notre programme de formation date de 1983… il a donc 34 ans ! Depuis, la médecine a évoluée, le rôle de la puéricultrice a donc évolué et son champ de compétences a été élargi. Les cursus infirmier a été revu avec une inclusion dans le système universitaire et a ainsi évolué vers l’obtention d’un grade licence. Notre spécialité reste donc à la traîne au vu de l’évolution de notre formation initiale et de l’évolution de nos pratiques soignantes ».

Nous réclamons/souhaitons : Des stages plus longs ; Des unités d’enseignement sur le management plus riche ; Une réactualisation de la formation autour de la prise en charge des pathologies pédiatriques ; Développer la prise en charge en ambulatoire et santé publique ; Permettre la recherche en soins infirmiers spécialisés pour avancer dans le domaine des soins et prise en charge pédiatrique et familiale de la naissance à l’adolescence ; Favoriser le travail en interdisciplinarité et transversalité et donc de coordination muti sectorielle ».

Quelles mesures doivent être mises en place d’urgence à l’hôpital pour optimiser l’accueil des enfants, mais aussi des personnels ?

« Présence de puéricultrices dans les services accueillant les enfants (100% de l’effectif infirmier dans l’idéal !!!). Respect de la législation en vigueur concernant les ratios infirmier/patients (en néonatologie nous sommes soumis au décret de périnatalité à savoir une IDE pour 2 enfants en réanimation et une IDE pour 3 patients en soins intensifs). Accueil des parents 24h/24 avec possibilité de dormir auprès de leur enfant (lit accompagnant ou chambres parents/enfants). Nommer l’infirmière puéricultrice en pratique avancée pédiatrique ; d’autant que l’on peut y mettre un référentiel d’activités. Une revalorisation salariale en accord avec les responsabilités auxquelles nous sommes confrontées ».

A la veille de l’ouverture de la campagne électorale pour la présidentielle, quel message souhaitez-vous faire passer au futur président de la République ?

« Les enfants ont besoin d’être soignés par des personnels spécifiques, compétents et formés ! Ils représentent notre avenir ! Vous voulez faire disparaître la profession des infirmières puéricultrices ? Sachez que la formation réunis chaque année 1000 étudiant(e)s et que ce serait mettre hors circuits ou hors-jeu 19716 IPDE recensés en 2016 (2015 :18963). Pensez que c’est perdre un savoir-faire, un avoir être qui in fine accentuera des constats de mal être sociétal et une perte de qualité de notre service public.

Autant l’adulte est capable de se défendre que l’enfant non. On ne s’improvise pas parents tout comme on ne s’improvise pas soignant d’enfants. C’est reconnaître une plus-value et une qualité indéniable d’observation et de réflexion que de reconnaître l’IPDE au niveau Master et en pratique avancée. Etre en université permettra de reconnaître la qualité des travaux de recherche des puéricultrices et ainsi permettre des avancements dans la prise en soin des familles et de l’enfant. Pourquoi allez chercher ailleurs ce que vous avez ici avec les IPDE formées et compétentes ? Ce n’est pas parce qu’il s’agit de l’enfant ou de la petite enfance que c’est facile (identique à l’adulte en plus petit) et que tout le monde peut et doit s’en occuper ».

Quels vœux pouvons-nous vous souhaiter pour 2017 ?

« Que la réingénierie de notre formation soit actée et mise en place dès la rentrée de septembre avec l’obtention d’un grade Master et donc que la santé de l’enfant ne soit plus laissée de côté ! »

Propos recueillis par Cl. Chunlaud

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